> Articles | 1945, In Memoriam |
Il y a quelques mois, on fêtait le cinquantième anniversaire de la capitulation du Japon. Traumatisé par cette guerre absurde, le pays du Soleil Levant a toujours tenu à transmettre aux nouvelles générations un message de paix. Le monde du manga a, lui aussi, contribué à cet effort, notamment à travers deux de ses plus grands chefs-d'oeuvre...
Cinquante ans déjà qu'ils sont morts... Seita et Setsuko, les deux héros de la nouvelle mélodramatique d'Akiyuki Nosaka, Le tombeau des lucioles, n'avaient demandé qu'une seule chose: pouvoir survivre sans avoir à perdre leur honneur et leur indépendance... C'est en s'inspirant de son propre passé tragique que Nosaka a écrit à la fin des années 60 cette histoire traumatisante qui fut maintes fois primée. Isao Takahata, le pilier des studios Ghibli avec Hayao Miyazaki, décida d'en réaliser une adaptation animée, sous la forme d'un film d'une heure trente sorti en 1988, Hotaru no haka.
Central Park Media, un célèbre éditeur américain, a eu l'excellente idée de le diffuser aux Etats-Unis en version sous-titrée. Ce qui a, couplé aux diffusions dans plusieurs festivals francophones, a permis a de nombreux Français de découvrir ce chef-d'oeuvre rempli d'émotion et de douleur.
1945. Seita, quatorze ans, est confronté à la dure réalité: à la suite d'un bombardement allié, il perd sa mère et doit s'occuper seul, son soldat de père ne donnant plus signe de vie, de sa petite soeur Setsuko, adorable bout de chou de quatre ans qui ne comprend pas trop ce qui se passe autour d'elle, et cela vaut sans doute mieux...
Recueillis par une lointaine cousine, ils vont préférer s'installer seuls dans un abri abandonné au bord d'un lac, plutôt que de devoir supporter quotidiennement les commentaires désobligeants de leur famille, ultra-patriotiste. La faim et la maladie auront petit à petit raison d'eux. Le plus terrible dans cette tragédie, c'est d'imaginer que le destin de deux si adorables et innocents enfants soit inéluctablement condamné par une guerre sans pitié. Takahata a volontairement accentué le charme de Setsuko jusqu'à nous tirer des larmes à la fin du film, la superbe musique de Michio Mamiya ne faisant rien pour arranger les choses...
Parmi les nombreux exemples de manga dénonçant l'atrocité de la guerre, on pourra citer une récente histoire courte dessinée par Tsukasa Hôjô, l'auteur de City hunter, mettant en scène l'amour d'une jeune fille pour un futur kamikazé. Mais de toutes ces bandes dessinées, celle qui restera la plus paradoxale, de par son mélange entre la vie et la mort, est l'oeuvre de Keiji Nakazawa. Lui aussi a romancé sa jeunesse, à travers plusieurs manga dont le graphisme maladroit ne trahit en rien l'esprit. Kuroi amé ni utareté (sous la pluie noire) et Hadashi no Gen (Gen aux pieds nus) ont tous deux été adaptés au cinéma sous forme de films d'animation. Le premier bénéficia en 1984 d'une bande son de Kitarô, tandis que le second reçut le prix Ôfuji en 1983 et se vit attribuer une suite en 1986.
Le manga de Hadashi no Gen a d'ailleurs été en partie traduit en français. Vous pourrez trouver cette magnifique bande chez Albin-Michel, sous le titre Mourir pour le Japon. On y suit la vie quotidienne de Gen Nakaoka (Keiji Nakazawa, en fait) à Hiroshima, avec toute sa famille, confrontée à l'humiliation, à la douleur, mais aussi aux petites joies que peut vivre un enfant. On découvrira la vie sévère et difficile dans les grandes villes nippones, description minutieuse jusqu'au moindre détail. Avec l'explosion de la fameuse bombe à la fin de l'édition française (la suite est parue aux USA), Nakazawa nous a montré combien cet événement a pu détruire la vie de milliers de personnes, tirant un trait rapide sur leurs petits bonheurs et malheurs de tous les jours.
A l'heure où les néo-nazis font trop souvent l'actualité, et notamment sur Internet, on oublie sans doute un peu que tant qu'il y aura des gens pour nous rappeler nos tristes erreurs du passé, et notamment à travers des supports aussi populaires que le manga ou le cinéma d'animation, nous garderons en nous cette conscience qui nous guidera vers un espoir de paix totale et éternelle. Gen a survécu à la bombe, Seita et sa soeur sont morts de faim, mais leurs destins se sont croisés, le temps de partager ensemble cette haine de la guerre. Aujourd'hui, nous aussi nous prions avec eux et pour eux. N'oublions jamais.
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