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Vous savez tous que les shôjo mangas sont très axés vers les éternelles histoires d'amour. Normal, ce sont des bandes dessinées destinées aux filles, qui sont souvent plus romantiques et sensibles que les garçons (pas tous les garçons). L'amour est donc vu par les mangaka sous toutes les coutures possibles.

Ainsi, les situations "banales", qu'on rencontre autant dans les mangas pour filles que dans ceux pour garçons, comme le couple de jeunes gens timides qui n'osent pas s'avouer leur amour mutuel et font durer la série pendant un nombre interminable de volumes, le triangle amoureux (dont l'un des membres finit immanquablement par être exclus, ou par sortir de son plein gré), ou encore ceux qui s'aiment et vivent ensemble mais ne veulent pas se le dire car l'un fait un métier dangereux et l'autre est son assistante plus que dévouée. Non, non, je ne pensais pas particulièrement à Maison Ikkoku, Orange road et City hunter... Ah, peut-être que si, finalement.

Tout cela est bien beau, mais le peuple demande de l'originalité, de la diversité. Le shôjo manga étant l'un des domaines artistiques les plus ouverts qui soient, il était donc normal qu'on voit un jour apparaître un nouveau genre d'histoire d'amour, preuve de la symbiose parfaite entre la réalité omni-présente dans les mangas et la fantaisie dont a besoin chacun de nous. Stop, accès réservé à ces demoiselles ! L'Androgyne fait son entrée dans le manga, pour faire chavirer le coeur de ses ami(e)s, et aussi celui des lectrices.


L'Androgyne... Kezako ? Littéralement "homme-femme", c'est, dans la littérature en particulier, une personne dont on a du mal à définir le sexe. Soit parce qu'il s'agit d'un homme qui se met du rouge à lèvres, a un peu de poitrine et une passion pour les roses, soit parce que c'est une femme aux gestes et paroles brusques, grande, plate et sportive.

Les deux cas se trouvent depuis toujours dans l'animation japonaise, car les Nippons aiment jouer sur l'ambiguïté des sexes. Dans Saint Seiya, c'est sans doute pour éviter de rendre trop machiste la série que Masami Kurumada a inséré le personnage de Shun parmi ses cinq héros. Il a, comme Shin dans les Samurai Troopers ou Reiga dans Shurato, plus d'hormones femelles que la moyenne. En effet, le jeune garçon (treize ans) est doté d'une sensibilité extraordinaire, sa voix a à peine mué (notamment en version originale), il pleurniche sans cesse et ne peut s'empêcher de réclamer l'aide de son grand frère, personnalisation du mâle même... Mais il possède également une grande force, qu'il peut utiliser lorsqu'il arrive à se maîtriser. Il devient ainsi l'un des chevaliers de bronze les plus puissants. Ikki l'a compris et cherche à le faire changer. Ainsi, dans le dernier film, Saishûseisen no senshitachi (Lucifer ou les guerriers de la dernière croisade), il intervient pour l'aider et tue son adversaire, mais cette fois-ci il ne l'aide pas à se relever, et se contente de lui dire, sans se retourner: "si tu veux vraiment sauver Athéna, tu dois utiliser la force qui est en toi. Tu penses que la bataille est finie parce que ton ennemi est vaincu ? Non, le combat contre Lucifer ne fait que commencer !"... Et il se met à courir, laissant son frère désemparé derrière lui. Shun a bien réussi à vaincre Aphrodite et Syd... Il suffit qu'il ait confiance en lui. Etant donné qu'il est l'élément presque féminin du groupe, cette leçon est donc valable pour les deux sexes. Les filles l'ont entendue, et c'est sans doute ce qui a fait de Shun le chevalier préféré de ces dames...

Des hommes efféminés, on en connait beaucoup dans les oeuvres pour garçons. Il y en a d'autres dans Saint Seiya (Misty et Aphrodite bien sûr !), mais aussi dans High school ! Kimengumi (Le collège fou fou fou), Dragon Ball Z (sic ! souvenez-vous de Zarbon, le partenaire de Freezer, d'ailleurs doublé au Japon par Shô Hayami alias Kôji Nanjô de Zetsuai...), Fûma no Kojirô, Hokuto no Ken (quoiqu'ici il soit facile de différencier les hommes des femmes: il n'y a aucune ambiguïté sur la taille des poitrines et des muscles), et des dizaines voire des centaines d'autres. Mais chez les femmes, l'Androgyne est encore plus présent. Parfois, son ambiguïté sexuelle est même l'un des principaux intérêts de l'histoire.

Moto Hagio, une célébrité du shôjo manga qui donne beaucoup dans les débordements homosexuels, est à l'origine, il faut le signaler, d'un très beau dessin animé de science-fiction de 90 minutes sorti en 1986 et nommé Jû-ichi nin iru ("nous sommes onze"), dont je vais vous parler un peu car elle aborde le problème des androgynes. L'histoire se situe dans le futur. Dix jeunes gens d'origine et de milieu différents cherchent à passer un examen pour être admis à l'Académie de l'espace. Après une dure sélection, on leur propose une dernière épreuve: survivre 53 jours dans un vaisseau spatial abandonné. Evidemment, cette mission ne sera pas de tout repos, l'équipe étant confrontée à un mystérieux virus qu'ils essaieront d'empêcher de se propager, et à la présence d'un intrus, un onzième passager, qui sèmera la panique en son sein, puisque tous ont des motivations réelles. On imagine donc la tension qui règne entre les personnages.

Pourtant, le vaisseau sera le cadre de la naissance d'un Amour entre le héros, Tada, et un androgyne, Froll, qui a un passé très intéressant: sur sa planète, les êtres n'ont pas d'attributs sexuels à leur naissance. A leur majorité, on leur injecte soit des hormones mâles, soit des hormones femelles, ce qui entraîne des modifications physiques et détermine par la suite leur sexe. Mais là-bas, les femmes sont considérées comme des moins que rien, et elles sont condamnées à devenir l'énième épouse d'un (heureux) homme. Pour avoir le privilège d'appartenir au sexe masculin (c'est pas moi qui l'ai dit, uhuh !), il faut soit être le premier-né d'une famille, soit prouver ses grandes capacités. C'est pour cela que Froll veut entrer à l'Académie de l'espace, ce qui serait une preuve suffisante pour qu'on lui accorde ce dont elle rêve.

Tada, étant amoureux d'elle (je dis "elle" pour ne pas choquer, hein), est partagé entre le désir de faire son bonheur (ce qui implique la réussite de l'épreuve) et son envie de l'épouser. L'idée est vraiment extraordinaire. Rassurez-vous, le film se termine fort bien (voire un peu trop bien pour que ça soit crédible, selon moi). Il y a un autre androgyne dans l'équipage, Knume, mais il est plus légitime de dire que les habitants de sa planète sont des hommes pouvant se reproduire sans l'aide de femmes... Pour en revenir au long-métrage, il a été dessiné par... Akio Sugino, character-designer de la célèbre série Oniisama e dont je vous parlerai par la suite, et de Cobra entre autres. A noter qu'il existe dans une excellente version française, mais elle reste dans les cartons d'AB Productions qui estime qu'elle a peu de chances de se vendre. Enfin, le manga originel, en un volume, a été publié aux USA en petits fascicules. L'adaptation est très sympathique, et conserve bien l'ambiance. Mais je vous recommande surtout le film.

Une autre célébrité du shôjo manga qui a utilisé à outrance le principe de l'ambiguïté des sexes est Riyoko Ikeda, créatrice de Versailles no bara (1972)... Inutile de préciser qu'Oscar est à la fois homme et femme ! Ce personnage fabuleux est largement inspiré d'une autre femme travestie en homme pour les besoins de la Couronne: Saphir, dans Ribon no kishi (ou Prince Saphir) d'Osamu Tezuka (1953), le tout premier manga pour filles... Comme par hasard. Alors, la présence des Androgynes dans les mangas pour filles remonterait donc à leur naissance même !

Toujours de la part de Riyoko Ikeda, on trouve facilement un autre exemple. Pour ceux qui n'ont pas lu Namida 2 (bientôt sur ce site) ou qui ne l'ont pas fait depuis longtemps, je vais vous éclaircir la mémoire. Oniisama é... ou Très cher frère, manga publié en 1974 et adapté en animation en 1991, se déroule dans un lycée pour jeunes filles assez strict, où règne une autorité officieuse, le Sorority Club dirigé par Fukiko Ichinomiya, également appelée Mlle Miya. Ce cercle d'élèves prestigieux n'accepte comme membres que des lycéennes aux moeurs parfaites, aux résultats scolaires excellents, enfin vous voyez le topo. D'où jalousie entre les élèves et ce qui s'ensuit, et bien sûr l'impression de l'héroïne, Nanako, de revenir au Moyen-Âge en entrant dans cet établissement. Elle perd même dans l'affaire son amie de toujours, Tomoko (et encore plus dans le manga, où cette amitié ne retrouvera plus jamais sa force d'autrefois !), ce qui est la preuve qu'elle a changé de vie.

Pour ne pas perdre pied, elle s'accroche à des éléments de l'Extérieur, comme son ami et ancien professeur Takehiko Henmi (qu'elle appelle son "très cher frère" sans savoir qu'il est en réalité son demi-frère), ou encore Saint-Just (alias Rei) et Kaoru, deux élèves plus âgées qui se sont rebellées contre l'ordre établi par le Sorority et finiront par réussir à le faire dissoudre. Ces deux jeunes femmes ont justement (et c'est justement ce qui nous intéresse présentement, on y arrive) la particularité d'être androgynes et d'attirer étrangement toutes les filles du lycée, en particulier Saint-Just qui les charme du son de sa guitare (ou de son piano, dans le dessin animé !). Au passage, je vous ferai remarquer que la fin de l'oeuvre renvoie les personnages dans l'univers extérieur: Kaoru, la sportive qui rappelle un peu André Grandier (l'ami d'enfance de Lady Oscar), épouse Takehiko et s'en va en Allemagne. Dans le manga, elle mourra au bout d'un an des suites d'une maladie (j'adore la façon dont c'est raconté), mais dans l'anime elle guérira et donnera naissance à un beau bébé, Comme quoi elle est bien une femme... Oui, la série trahit le manga mais quelle joie de voir Kaoru enfin heureuse... Surtout que ce dernier épisode est fort réussi !

Pour en revenir au thème principal d'Oniisama e, il est facile de comprendre que la ségrégation des sexes (et/ou le caractère androgyne de certains personnages) finit souvent par "provoquer" l'homosexualité, l'attirance d'une personne pour une autre du même sexe. Ce sentiment qui est sous-jascent dans le superbe Oniisama e est par contre admis "officiellement" dans une autre oeuvre majeure des années 70, Kaze to ki no uta (1976), de Keiko Takemiya. Celle-ci s'est intéressée à tous les genres, avec la science-fiction (l'excellent Terra e, 1977, ne ratez pas le film en version sous-titrée anglais), les amours hétérosexuelles croisées ou autres (Natsu e no tobira), l'humour (Fly me to the moon !) et pas mal de mangas mélangeant plusieurs genres (Izaron densetsu...), il n'est donc pas étonnant qu'elle ait été l'une des premières (la première ?) à introduire l'homosexualité dans ses oeuvres et à la présenter comme un fait banal, presque courant.

Nous voici donc en 1880, dans un pensionnat pour garçons situé près d'Arles, dans le sud de la France, pays qui fascine les Japonais (et pas seulement eux), de par sa différence avec le leur. L'histoire est centrée autour de Serge Bailleul, nouveau venu qui partage sa chambre avec la star du collège, le jeune, beau, séduisant et surtout androgyne Gilbert Cocteau. Celui-ci est vu comme une femme par les autres élèves, qui ne rêvent que de partager une nuit avec lui. Un surveillant abuse de lui, provoquant ainsi la colère de Serge et la compassion de ce dernier pour lui. Cette relation va bien entendu se transformer en une véritable histoire d'amour. Et se terminer par un drame, la mort de Gilbert... Tout ceci n'est pas sans rappeler le roman "Les amitiés particulières", non ? (Comment ça, vous ne connaissez pas ? Mais moi non plus !)

L'animation s'intéressa à cette aventure. En 1987, Shôgakukan, Herald (la société productrice de l'excellent Ran, film d'Akira Kurosawa) et Konami (!) adaptent le manga en un OAV d'une heure reprenant les premiers volumes de l'histoire. Le staff ne sort pas de n'importe où, jugez plutôt: un storyboard du célèbre Yoshikazu Yasuhiko (Gundam, Venus wars, Arion, Crusher Joe), un character-design de Sachiko Kamimura (City hunter, Arslân legend, et encore Venus wars et Arion), et des dessins signés entre autres de Ken-ichi Ônuki (Earthian, Yôtôden), Tsukasa Dokité (Dirty pair, Captain Tylor, Patlabor 2), Hideyuki Motohashi (éminent membre des productions Araki, qui adapte souvent les oeuvres de Gô Nagai et de Mitsuteru Yokoyama), Toshihiro Kawamoto (character-designer de Gundam 0083 et Orguss 02), Kôichi Chigira (réalisateur de l'OAV de Tôkyô Babylon et d'un clip de Bronze, et assistant-réalisateur sur Venus wars) et même Keiko Takemiya elle-même, qui a fait quelques peintures à la fin de la vidéo. Côté doublage, un choix également fabuleux: on peut entendre entre autres Kaneto Shiozawa (Mû dans Saint Seiya, Larva dans Miyu, Narcasse dans Arslân), Hiroshi Takemura (Tôma dans les Troopers, Joe dans Crusher Joe) dans le rôle de Pascal Biquet, ami de Serge et de Gilbert, Yoshiko Sakakibara (Kushana dans Nausicaä et de nombreux autres rôles), Jûrôta Kosugi (Rajura dans les Troopers) et même Shô Hayami (Kôji dans Zetsuai) dans le rôle du surveillant un peu trop zêlé (il faut le voir pour comprendre)........ Le résultat est magnifique, les voix sont superbes, les couleurs sont toutes très réussies, elles donnent une ambiance particulière au dessin animé, les décors (dessinés dans le style des tableaux "panoramiques" européens) la renforçant. Oui, c'est vrai, l'esthétique est à pleurer, mais bon, l'histoire est un peu trop axée sur le sexe... Enfin, pas plus que le manga, mais ce n'est pas à son honneur.

Deuxième partie >>>

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