> Articles L'empereur des sens

C'est aujourd'hui sans retenue que les otaku français se jettent sur les premières cassettes d'animation japonaise érotique qu'on leur met sous les yeux. Et si on leur disait tout d'un coup que le plus beau film d'animation érotique japonais, véritable mine de trouvailles artistiques, est sorti plusieurs années auparavant sur le marché vidéo... français ?

Eh oui, contrairement à ce qu'on entend souvent dire, l'immonde Mlle Météo (que j'ai traduit uniquement parce qu'on me pointait un revolver sur la tempe !) est loin d'être le premier film érotique d'animation japonaise à être arrivé sur nos terres. On citera tout d'abord l'atypique Kanashimi no Belladonna, réalisé en 1972 par l'un des proches collaborateurs de Tezuka, également directeur sur Yamato, Eiichi Yamamoto. Diffusé à l'époque dans un festival international et cette année à la Biennale d'Orléans, il bénéficie d'une excellente réputation, mais n'ayant pu le voir je ne me prononcerai pas.

C'est l'éditeur Antarès qui a sorti en vidéo le sublime Ihara Saikaku Kôshoku-ichidai otoko, de Yukio Abé. A vos souhaits. Ce film d'une heure est plus connu sous le titre de Sensualist. Produit en 1990 et diffusé l'année suivante au festival d'Angoulême, il s'éloigne énormément de l'idée que Dragon Pink ou Ogenki clinic nous donnent du dessin animé japonais érotique. Ne serait-ce que par sa conception graphique, Sensualist impressionne: les dessins, les couleurs et les mouvements empruntent énormément à l'univers de ces estampes japonaises si prisées des amateurs d'art... Malgré une animation parfois très limitée, la réalisation n'en reste pas moins impressionnante, à cause de cette particularité esthétique époustouflante.

L'histoire suit au XVIIème siècle les mésaventures très anecdotiques d'un sous-fifre qui a fait avec un ami le pari de coucher avec une grande geisha dès leur première rencontre. Une folie pour cet homme sans manières qui avait lancé cette idée saugrenue sous l'effet de l'alcool. Il va alors demander de l'aide à un maître du sexe, qui a atteint un niveau de raffinerie inimaginable en apprenant l'amour toute sa vie durant avec plusieurs milliers (!) de partenaires, tous sexes confondus. Ce maître lui permettra de conserver l'enjeu de son pari (ses organes génitaux !) en intervenant auprès de la geisha, qui n'est autre que son grand amour...

Sensualist est tiré d'un roman écrit de Saikaku Ihara (1641-1693 ?), l'un des écrivains les plus célèbres du Japon et dont on dit qu'il est à l'origine des romans modernes. On peut être certain qu'il ne désavouerait pas cette adaptation qui, loin de profiter de son sujet érotique pour faire un porno commercial à souhait, fait passer une atmosphère très détendue, proche de l'extase, en préférant suggérer que montrer. Le film est de plus servi par une magnifique bande son très planante signée Keiju Ishikawa, que les fans de Dragon Ball Z connaissent pour avoir composé, aucun rapport, les musiques très dance du jeu vidéo et de l'OAV de DBZ Gaiden Saiyajin zetsumetsu keikaku. Dans un meilleur registre, il a produit les superbes musiques de Hi no tori, composées par Fumio Miyashita -- le maître japonais de la musique de relaxation.

On pourra seulement regretter que la version française du film soit insupportable, avec un doublage à deux centimes et un mixage éhonté où les musiques sont quasiment coupées pour laisser entendre les hurlements des doubleurs, faisant ainsi passer ce chef-d'oeuvre pour un banal film de cul sans âme. Seule la RTBF, la première chaîne belge, a eu l'intelligence, au début de cette année, de diffuser le film, sous le titre L'empereur des sens, un jeudi soir en deuxième partie de soirée, dans une superbe version originale sous-titrée français qui respecte à la lettre l'ambiance du film. Vous m'avez compris, il ne vous reste plus qu'à vous lancer à la recherche de cette perle en évitant scrupuleusement la VF, qui de toute façon est presque introuvable aujourd'hui. Je vous conseille plutôt de chercher la version éditée en VO sous-titrée anglais chez Western Vidéo...

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