> Articles | Mononoke Hime : Le meilleur des deux mondes |
Dans ce ch'tit compte-rendu de Mononoke Hime, j'ai essayé d'éviter au maximum les spoilers sur le film, mais je raconte quand même pas mal l'histoire. Alors si vous voulez garder toute la surprise, arrêtez-vous de lire quand vous le sentez...
Entrée dans la salle. Une heure et demi d'attente devant nous. J'ai eu de la chance et j'ai pu me retrouver avec d'un côté Rody et JBSoufron, et de l'autre mes copains béthunois. Plus pratique pour discuter. Je passe le temps en discutant passionnément de cinéma avec un copain, tandis que mon volume 5 de Black Jack circule entre les rangs... ;)
Tiens, voilà le YeuWeuLeu et David Martinez ("tiens, j'ai déjà vu ce type au Cercle du Cinéma..." ;)) qui se pointent et nous expliquent que Miyazaki est un grand homme qui fait de très bons films. Super. Y'a des gens dans la salle qui ont pris leur week-end et fait 800 bornes pour venir le voir, ce film, alors il a intérêt à être bon.
Les lumières s'éteignent.
Ecran noir. Quelques textes. Un coup, deux coups... Le bruit fracassant rappelle étrangement l'introduction d'Akira. Puis la musique et l'ambiance nous emporte. On sent déjà qu'on n'a pas affaire à n'importe quel film.
Et voilà. Ashitaka débarque pour sauver son village de l'assaut d'un sanglier géant devenu tatarigami (dieu maléfique) pour une raison inconnue (mais qui ne le restera pas plus d'une demi-heure). Ashitaka est blessé et son bras droit maudit. Une tache violacée s'étend progressivement sur son bras puis son corps, et finira par le tuer. En contrepartie, il hérite d'une force incroyable. Impossible de ne pas penser aux Replicants de Blade Runner, eux aussi quasi-invincibles mais à la durée de vie limitée.
L'animation est magnifique. Je reste le souffle coupé devant une telle beauté. On atteint sans problème le niveau de On Your Mark. La réalisation est propre, soignée, originale, un Miyazaki au SOMMET de son art. Aucun reproche à faire. Tout a été fait à la perfection. Difficile de décrire le sentiment que ça procure. L'émerveillement est constant devant une telle débauche de poésie picturale.
L'histoire en elle-même ne souffre que de très peu de lenteurs. C'est tout juste si j'ai été déconcentré pendant trois ou quatre minutes sur toute la longueur du film (ce qui, pour moi, est exceptionnel). Le scénario est formidablement ficelé, il suit les allées et venues d'Ashitaka entre le village des forgerons et la forêt de la princesse Mononoke, renouvellant à chaque fois la fascination pour ces deux lieux : le premier, pour ses habitants chaleureux et solidaires, le second pour la magie de la nature, pour le charme des Kodama (en français les sylvains, ces petits êtres qui symbolisent l'écho et qui ont fait craquer toute la salle), et pour la majesté de cette clairière où viennent s'abriter ceux qui demandent l'aide du Shishigami, le dieu de la forêt. Cet endroit rappelle d'ailleurs terriblement l'endroit le plus profond de la forêt toxique dans Nausicaä, ce lieu qui inspire un si profond respect à l'héroïne.
Le Shishigami, ou dieu-cerf, est à n'en point douter une figure mythique qui restera dans les esprits de tous ceux qui ont vu le film. Sans prononcer un seul mot de tout le film, il inspire la vénération de par sa sagesse et sa capacité à maintenir l'équilibre de la forêt en donnant ou en reprenant la vie. Et tel Jésus, le dieu-cerf marche sur les eaux. Difficile de parler de cette divinité sans mentionner l'existence de personnages tout aussi mémorables, tels que Moro, la louve qui a pris soin de San la sauvageonne depuis sa naissance et son abandon dans la forêt, ou Okkoto, le sanglier dont la sagesse lui a permis d'acquérir l'admiration du peuple de la forêt.
Si Miyazaki a compris quelque chose ici, c'est bien qu'il fallait éviter à tout prix de rendre ses personnages manichéens. Déjà, dans ses précédents films, il était difficile voire impossible de considérer le moindre personnage comme foncièrement satanique. Bien qu'il soit à l'origine de quelques-uns des méchants les plus hallucinants du monde de l'animation (Lepka, Cagliostro ou encore le sinistre bad guy de Laputa), Miyazaki est aussi connu pour être aussi humaniste qu'Osamu Tezuka, peut-être un peu désabusé et plus pessimiste par rapport à lui. Pourtant, Mononoke Hime est loin d'être un film pessimiste. Bien au contraire, il nous envahit de bonheur. Et rares sont les films qui peuvent revendiquer une telle qualité.
Dans Nausicaä, l'héroïne se battait contre Kushana et son armée de Torumekia. Pourtant, et encore plus dans le manga, on découvrait progressivement qu'elle n'agissait pas dans de mauvaises intentions mais pour le bien de son peuple, par respect pour sa mère et pour essayer de combattre le fléau de la Mer de la Corruption. Elle ne connaissait rien du rôle de cette forêt toxique dans l'épuration de la terre.
En ce sens, elle rappelle Eboshi, la dirigeante de la forge, qui fait tout pour faire avancer la domination de l'homme sur la forêt, mais agit sans avoir vraiment compris l'importance de cette forêt. Son coeur est en or pur : elle recueille et soigne les malades rejetés par la société, elle rachète et donne une identité à de nombreuses jeunes filles abandonnées par leur famille, qui trouveront dans la forge une véritable société où l'égalité n'est pas qu'une vaine déclaration sur un bout de papier. Mais son amour pour son peuple et son indépendance l'empêchent de comprendre le peuple de la forêt. Elle veut simplement protéger les siens et leur offrir de quoi survivre en prenant le minerai de fer de la forêt pour en faire des armes et s'assurer un semblant de pouvoir et d'indépendance.
Pour se débarrasser du poids de l'empereur, assoiffé d'immortalité, elle va chercher à couper la tête du Shishigami, dont le sang pourrait selon la légende accorder la vie éternelle. C'est cet événement qui va précipiter la montée de la tension et, inévitablement, la guerre entre les humains et les animaux. Guerre qui se soldera à l'avenir par une victoire des hommes, comme le suggère la taille de ces animaux, bien plus grands que leurs équivalents modernes, et qui rapetisseront au fil du temps, pour céder leur place progressivement à notre civilisation.
Mais la véritable victoire de Miyazaki, c'est d'avoir réussi à mélanger à la perfection tous ces éléments pour arriver à un final hallucinant de beauté, impossible à décrire, mais résolument optimiste, un final symbolisé par le personnage de San, cette jeune fille tiraillée entre les deux mondes, mais qui arrive à passer à travers tous les pièges avec une maturité inhabituelle, et à prouver que la cohabitation est possible.
Mononoke Hime est assurément le film de la décennie. Une expérience majeure qui vous sort grandi et vous fait oublier n'importe quel Titanic en quelques secondes. Sa sortie est annoncée pour 1999 en France. Vous savez ce qu'il vous reste à faire... (Courage !)
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