> Articles Hi no tori, l'histoire de Gaô

Hi no tori, un des chefs-d'oeuvre d'Osamu Tezuka, fut publié entre 1954 et 1988. On peut actuellement trouver deux éditions de la bande dessinée: une version de luxe, en douze tomes, et une autre de poche, au format A6 (c'est petit, hein !), dont l'avantage est d'être à un prix plus abordable malgré la présence de nombreuses pages couleur. Cette édition totalise treize tomes. J'en ai trouvé, pour ma part, quatre à la boutique Tôkyô-dô pour environ 70 francs chaque - pour vous donner une idée.

Le quatrième (Hôô-hen, d'après les épisodes parus en 1969 et 1970 dans Com) a été adapté par RinTarô (le fameux réalisateur de la première série d'Albator, celle qui hante les souvenirs de la plupart d'entre nous), sous la forme d'un chef-d'oeuvre (ben vouais, comme toujours) d'une heure, sorti en salles en 1986 et mis en musique par le fameux compositeur New-Age Fumio Miyashita. Je vous en parlerai prochainement, mais j'aimerais tout d'abord me pencher sur la version manga, avec un petit résumé des premières pages... Il faut dire que l'histoire en totalise 355, qui se déroulent à une vitesse vertigineuse. Pas étonnant: c'est du manga. Et du Tezuka, en plus !

Le manga de Hi no tori est fort pessimiste quant au sort de ses nombreux héros ! Ainsi, dans le chapitre de Yamato, l'auteur a osé faire mourir "pour l'exemple" le couple de héros qui en avaient déjà bien bavé tout au long du manga ou de l'OAV... Mais je vous en parlerai une prochaine fois (cet article constitue en fait le début d'un gros dossier sur le manga et ses adaptations animées), alors concentrons-nous aujourd'hui sur Hôô-hen...

Gaô est né dans un petit village de pêcheurs. Son père s'est précipité pour l'emmener en haut d'une colline non loin de là, pour aller trouver le kami (dieu protecteur) et faire bénir son enfant. L'escalade fut si rude qu'il perdit pied, tomba, se fracassa le crâne et mourut sur le coup, laissant son fils en vie mais avec le bras gauche en moins. Moralité, n'oubliez jamais la ceinture de sécurité. Quinze ans plus tard, nous redécouvrons Gaô, à l'écart de ses camarades qui s'amusent de leur côté en méprisant son handicap. Un jour, il est humilié par un villageois qu'il avait vaincu lors d'un combat dont l'enjeu était un grand plat rempli de riz. C'est la goutte qui fait déborder le vase: emporté par la colère, il le pousse du haut d'une falaise. Poursuivi par la foule, il ne doit son salut qu'à un champ de fleurs dans lequel il a pu se cacher. Gaô remarque qu'une coccinelle était posée sur son bras, et il la dépose sur une des fleurs. Détail important par la suite ! Il est retrouvé par les autres mais prend de l'avance et leur échappe une nouvelle fois.

Dans la nuit, Gaô n'hésite pas à menacer un couple de tuer leur enfant si on ne lui apporte pas à manger tout de suite. Lorsque le père s'enfuit pour prévenir les habitants de son village, il est pris de panique, tue l'enfant et prend la fuite. L'engrenage...

Il plonge dans une rivière toute proche et se laisse emporter par le courant. Plus loin, il sort de l'eau et s'approche d'un feu allumé par un jeune homme qui campe là, Akanemaru. Celui-ci se présente comme étant un sculpteur bouddhiste venu de la capitale du Yamato. Sa gentillesse étonne Gaô qui ne se laisse pas charmer et le menace ici aussi de son arme. "Donne-moi tes vêtements !", lui hurle-t-il. Son hôte, déçu, s'exécute; le criminel voit ainsi Akanemaru torse nu (calmez-vous les filles, il n'est pas dessiné par Clamp) et, pris de jalousie en voyant ses deux bras tout à fait normaux (avec cinq doigts et tout et tout), il le blesse volontairement au bras droit, s'habille et puis s'en va, avec un air de mépris envers le pauvre homme.

En chemin, il est rattrapé par Hayame, la petite soeur d'Akanemaru, qui lui fait un sermon. Amusé, il se présente et l'enlève, avec la ferme intention d'en faire sa femme. Le sculpteur, de son côté, se réfugie dans un temple situé de l'autre côté de la montagne. Il est soigné par un vieux prêtre mais l'état de son bras l'empêchera désormais d'exercer son métier aussi habilement qu'autrefois... Le moine lui apprendra alors ce qu'est la patience: lui-même a décidé à l'âge de vingt ans de sculpter des oeuvres, mais dans un matériau spécial: la pierre. Il utilise pour celà le principe des stalagmites, en faisant couler par un système de roseaux creux des gouttes d'eau de la rosée du matin au même endroit, et en bougeant petit à petit la stalagmite de place pour pouvoir contrôler la forme que prendra la statue au final... U'a de ces fous ! En tout cas, ça donne une idée de la patience du moine: il lui faut de nombreuses années pour réaliser une sculpture. Akanemaru comprend alors qu'il a la vie devant lui en voyant le résultat des soixante années de travail de son futur maître, et il se décide à tenter d'apprendre à utiliser sa main gauche pour pratiquer son art...

Nous retrouvons Gaô, qui entraîne Hayame dans un de ses habituels cambriolages meurtriers. Cette fois, il assassine une famille de quatre personnes pour leur voler leur nourriture et leur argent. On comprend pourquoi la pauvre Hayame est choquée, et encore plus quand Gaô lui explique qu'il préfère tuer avant d'être tué. "J'ai eu la vie tellement dure que je pense que j'ai le droit de vivre ! Je serai le dernier à mourir...", pense-t-il. Un bonze errant lui affirmera le contraire ("la mort te frappera par le nez !"), ce qui le fera sortir de ses gonds.

Un an passe tranquillement. Akanemaru, après de nombreux efforts, réussit enfin à sculpter une représentation de Bouddha de la main gauche. Il a enfin atteint son but et en remercie son maître. De son côté, Gaô rentre de sa journée de massacre (dix-huit meurtres, pas mal, pas mal) et offre à sa femme un miroir qu'il a volé à l'une de ses victimes. Mais bizarrement, le visage de Hayame ne se reflète pas dedans, contrairement à celui de Gaô. Celle-ci se trouve rapidement une explication conforme à sa logique ("c'est sans doute un miroir de gentilhomme ! Les femmes ne peuvent pas s'y refléter ! Tout comme les hommes ne peuvent pas se refléter dans un miroir de femme !"), mais il finit par jeter l'objet et se fâcher une nouvelle fois. La même nuit, il se met à souffrir terriblement du nez. Hayame, inquiète, et pensant qu'il s'agit d'un refroidissement, lui préparera par la suite un remède dont il ne se privera pas. Une mise en page absolument géniale nous montre un zoom sur une boule de neige, qui symbolise à la fois la neige qui se met à tomber et... le gonflement de son nez !!

Gaô marche dans la neige, en compagnie de quelques accolytes qu'il a recrutés récemment. Il se plaint justement de la taille gigantesque qu'a atteint son nez et de l'inefficacité du médicament que lui a donné sa femme. Son second prétend alors que ce produit est un poison que Hayame a sans doute préparé pour se venger. Ce qui est totalement faux, bien entendu, on ne peut mettre en doute la bonne foi de sa femme, qui est la bonté même. Mais Gaô est un impulsif. Fou de rage, il rentre chez lui et exécute sa bien-aimée sans même lui laisser la possibilité de se défendre. Avant de mourir, elle échange quelques paroles avec son mari.

"Je voulais vivre dans la joie, avec toi, jusqu'à la fin de ma vie...
- Menteuse ! Tu as voulu me tuer, pour venger ton frère que j'ai blessé !
- Non... Je n'ai aucun lien de parenté avec ce sculpteur... Je t'ai dit ça pour t'aborder...
- Quoi ? Mais alors, d'où sors-tu ?
- Un jour, tu m'as sauvé la vie...
- Comment ? Je ne m'en souviens pas !
- Tu m'as prise dans tes mains et tu m'as sauvée de la mort... Depuis ce jour, j'ai su que tu avais en fait un coeur bon... Mais maintenant, il est trop tard... Je vais mourir... Je suis heureuse d'avoir vécu avec toi..."

La neige recouvre son corps, et elle disparaît petit à petit de la vue de Gaô, qui ne peut que se lamenter pour son erreur. Pire encore: une petite coccinelle vient de naître devant ses yeux... Il vient de comprendre. Nous, pas vraiment, mais le film éclaircit la situation: on y voit un flashback où, poursuivi par des villageois chez qui il vient sans doute de commettre un massacre, il se cache près d'une rivière et voit une coccinelle prisonnière des eaux passer devant lui... Il la retire de sa prison mouvante et la pose à l'abri sur une feuille, en esquissant un sourire de bonté... La coccinelle avait voulu le remercier en prenant la forme d'une humaine et en vivant à ses côtés... Mais maintenant, morte, le charme est rompu et elle a repris l'apparence d'une coccinelle inerte... Gaô, conscient de ce qu'il vient de faire, se met à marcher sans but dans la tempête, hurlant à sa bien-aimée de lui revenir, mais sachant bien que rien ne pourrait la lui rendre... Trop faible pour se défendre, il se laisse capturer par des soldats lancés à sa recherche, et il est condamné à mort. Par chance, son exécution est retardée par un message envoyé par un supérieur qui désire le rencontrer. Et celui-ci n'est autre que le moine qui lui avait prédit qu'il ne survivrait pas longtemps ! Le destin joue parfois bien des tours...

Le reste, je vous laisse le découvrir. Et je ne vous ai raconté ici que 75 pages du manga... Mais c'est vraiment magnifique. Tezuka nous charme ici par son approche très particulière des personnages. Il n'y a pas ici de combat entre le Bien et le Mal, mais une cohabitation. On part du principe que tous les hommes naissent libres et égaux en droits (comme le disait si bien Coluche, "c'est après que ça se gâte"); l'auteur analyse les raisons qui poussent les hommes à commettre le Mal. Il a le don de réveiller en nous le sentiment de pitié qui nous fera pardonner au pauvre Gaô tous ses crimes.

Plus tard, le même humanisme se retrouvera dans Saint Seiya, avec les guerriers divins, qui ont tous eu une enfance des plus difficiles. Comment en vouloir à Fenrir de haïr les hommes, lui qui a été témoin de leur méchanceté, de leur hypocrisie, de leur lâcheté, le jour où ses parents sonts morts ? Comment blâmer Thor qui braconne dans le domaine d'Hilda quand on sait qu'il le fait pour nourrir son peuple, au risque de sa propre vie ? Ici, on ne pourra s'en prendre à Gaô: il a été brimé toute sa vie, mis sur la touche à cause de son infirmité. Il a vécu les pires humiliations et pour lui l'existence n'a jamais eu aucun sens. Au contraire. Gaô, malgré son physique repoussant, attire la sympathie. On aimerait tant qu'il puisse enfin connaître le bonheur. On souffre à sa place tout au long de l'histoire... On a même un peu honte de n'être qu'un lecteur de manga bien à l'abri dans ses pantoufles...

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